Je viens de terminer la lecture du tant attendu Minuscules flocons de neige depuis 10 minutes de David Calvo. Les aléas de ma vie trépidante et un système de distribution québécois quelque peu capricieux avaient retardé l’acquisition de ce livre. Parfois, le chemin est dur …
Je confesse, à genoux, le cœur meurtri, martyr de vous, humble dans ma nudité nymphale, que le dernier ouvrage de Calvo, Eliott du Néant, m’a profondément touché et que je m’étais pas vraiment senti capable de vous en parler : le monde était trop déroutant, le style tellement efficace et les images évoquées me restent encore tenaces. Un trop plein de choses qui empêchent l’organisation de la pensée et qui stérilise l’écriture. J’étais trop exalté, trop impressionné ou simplement trop feignant pour tenter d’en dire quoique ce soit. Alors, j’ai préféré ne rien en dire et vivre dans la honte, me conspuant les nuits sans lune et me flagellant à martinet perdu dans la moiteur torride de mon confesseur personnel, un obscur personnage qui commémore sa souffrance en ne portant que du latex clouté rouillé et en aidant les jeunes gens à se purifier a longs coups de verge…. enfin c’est ce qu’explique sa carte d’affaire.
Autant vous le dire tout de suite, Minuscules flocons de neige depuis dix minutes (MFDNDDM pour les intimes) provient du même tonneau de délire littéraire, et c’est donc le coeur vaillant, la main tremblante et la peau en émoi que je ressors mon nécessaire de fustigation. En quelques mots, le personnage principal va faire un tour à l’E3 de Los Angeles, couvrir l’événement. Son contact sur place va tranquillement le faire glisser vers la découverte d’une conspiration qui lie Disney, Tezuka, des ordinateurs géants, des bases secrètes, des milices, probablement des extra-terrestres (mais ça c’est finalement pas si sur) et tout ce que le monde compte du culture pop, vidéo ludique, fantaisie et manga. Plus le roman se déroule et plus, tout aussi tranquillement, la ville prend un autre corps, le monde se désagrège, les actions deviennent des réactions et la compréhension cartésienne cède le pas au pixel, au réseau et au virtuel. Je vous laisse le soin de découvrir le détail de l’histoire du roman, car, je pense, que ce n’est pas le point le plus percutant de ce livre . Non. C’est bien une question de structure et de style qui m’occupe encore une fois …
J’aime la manière d’écrire de Calvo. C’est proche de la poésie sans en être vraiment, c’est souvent drôle, un peu atone par moment, et ça habite les pages comme rarement. Le style laisse une impression étrange, prégnante et qui donne à la moindre description un je-ne-sais-quoi- de transcendent.
Il ouvre sur une pièce malade. Une chaise de bar en plastique rouge, un palmier en pot, tordu comme un vieux mégot, un lit double, couverture brune. Un aquarium vide aux parois souillées. Le plafond est une galaxie de fissures et de motifs sombres, peut-être de la moisissure. Une salle de bains dans le fond, une moquette rose, une douche. Un vieux parfum d’Hollywood, poussière de rêve. Tenter de sentir un écho du mur. Laisser filer mes doigts sur le lavabo, pour éprouver sa réalité, une trépanation, parce que je comprends maintenant à quel point mon départ m’a rongé, à quel point j’ai changé.
– Je reste
– – Ne mangez pas la Bible, dit le gros en laissant les clefs.
Vous voyez ? C’est étrange sans être totalement bizarre, il y’a quelque chose de métaphysique d’à peine effleuré, on trouve des images qui prennent corps, en douce, et qui reste dans la tête pendant des pages. Voilà, Calvo, dans mon expérience c’est ça. Une sorte de maîtrise dont on ne comprend pas complétement les règles. Parfois on a l’impression de se perdre, puis on se retrouve ailleurs, plus loin, pas vraiment ou on pensait et c’est bien comme ça, même si parfois, c’est un peu frustrant. Comme à ses personnages, le contrôle nous échappe, nous glisse entre les doigts et c’est au moment où on finit par accepter de se laisser porter que le plaisir se déploie réellement.
Pendant ma lecture je ne pouvais m’empêcher de faire un parallèle avec le Lost Highway de David Lynch : un récit protéiforme qui défie l’entendement mais qui rend compte de quelque chose de plus profond qu’une histoire. Alors évidemment les thématiques sont différentes mais je pense que dans le rapport au récit la comparaison se tient. Quand je vous disais que le récit bien construit dépasse l’histoire, rend compte de quelque chose de plus profond, et bien Calvo et Lynch vont dans mon sens. Si dans le beau film de Lynch le lien de causalité est distendu au point de donner l’impression de rupture imminente, dans son texte, Calvo torture la vraisemblance, ce mince pont qui lie le récit avec la réalité du lecteur, jusqu’à lui faire décrire de nouvelles formes réalités, de nouvelles manières d’exister, toujours à la limite de la rupture. Cette capacité à suggérer une métaphysique connexe à la notre est, je crois la force majeure des deux derniers livres.
Triturer la vraisemblance tout en proposant une structure étrange, voilà un programme pour le moins réjouissant, et dans ce livre qui traite de virtualisation du monde, le procédé fonctionne pleinement. La déconstruction narrative liée à ce style à la fois beau et déroutant laissant planer le doute sur la réalité même de ce qui est décrit et donne la sensation de sentir quelque chose qui aurait trait à l’être au monde. Bref, en un mot comme en mille, ce livre est vraiment chouette. C’est une expérience littéraire que je conseille à tous les fans de D.Lynch, G.Noé et cie.