La gauche comme outil de contestation au liberalisme 1/2

Le dernier bouquin de Jean Claude Michéa me donne le goût de vous entretenir la conscience politique d’un point que le grand méchant rétrograde avance et qui me semble une excellente matière à réflexion. Je vous fais une citation la plus courte possible, parce qu’en général, il est velu, le bestiau :

                L’hypothèse capitaliste, au sens où nous l’avons définie, n’est qu’une des multiples variantes de la métaphysique du Progrès qui est commune à tous les idéologues modernistes. À l’instar des autres variantes, elle prétend, elle aussi, que l’Histoire a un sens et que le chemin qui est prescrit aux Hommes les conduit inexorablement […] de l’état théologicomilitaire à l’état scientifique-industriel. Ce qui constitue la différence spécifique de l’hypothèse capitaliste c’est, uniquement, l’idée que le principe déterminant de l’Histoire et, par conséquent, le progrès technologique […]. (Jean-Claude Michéa, L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, 2006, p103)

Le progrès technologique serait l’apanage de la pensée capitaliste, et donc tout ce qui va contre le progrès contre la modernisation de la société est vécu comme un archaïsme. Voilà qui explique la dissolution de l’identité dans l’agrégat technologique ambiant. Pas besoin de cultures, de tradition ou de conservatisme dans un monde où le progrès est la mesure de tout. Le raisonnement est simple, implacable. Ok, les progressistes sont des salauds, easy, je sais pour qui voter aux prochaines élections de Miss Poitou-Charentes.

Mais, parce que vous vous doutez qu’il y a un mais, parce que sinon ça ne serait pas drôle. Mais, disais-je, voilà ce qu’il rappelle de l’idéologie socialiste :Mystere de la gauche

Or [… ] un sujet n’est supposé accéder à la liberté authentique [. ] qu’à partir du moment où – s’étant définitivement arraché à toutes les racines et à toutes ses déterminations originaires — il va enfin pouvoir travailler à se reconstruire « librement » et dans son intégralité (guidé par le seul objectif stoïcien de ne plus jamais avoir à dépendre ni d’une quelconque région du globe, ni d’une culture ou d’une langue particulière […]. (Jean Claude-Michéa, Les Mystères de la Gauche, 2013, p37

On voit donc ici que la visée du socialisme résout la pulsion capitaliste dans le sens où le but du premier correspond au cadre essentiel du second. L’homme libre (libéré en fait) doit pouvoir s’affranchir de ses déterminismes culturels, sociaux, ethniques, etc., et une justice sociale de gauche pencherait donc fatalement vers la disparition de ces déterminations négatives. Donc la gauche favorise le développement du capitalisme et ne peut donc pas constituer une arme pour contrer le libéralisme endémique.

C’est fort, ça, non? La contestation véritable, la manière la plus efficace de combattre le système serait donc le conservatisme… Je suis pas mal sur que vous allez voir d’un autre œil les prochaines manifestations syndicales!

Et finalement, tout cela fait du sens, quand on voit les mouvements de simplicité volontaire, le retour à la consommation locale, la volonté de réduire le coût de la vie, etc. Toutes les solutions qui sont trouvées sont clairement de l’ordre du conservatisme, voire de l’archaïsme.

Mais alors, du coup, la contestation est-elle vraiment de gauche?

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6 thoughts on “La gauche comme outil de contestation au liberalisme 1/2

  1. recherche du progrès = capitalisme… Est-ce que ça ne dépend pas de ce qu’on attend par « progrès » ? Si on définit le progrès comme une « innovation » permettant une augmentation du ratio bénéfice/cout, je suis d’accord mais si on prend ça de manière plus large (i.e. « mieux vivre pour tous »), est-on toujours capitaliste ?

    Après, de quelle gauche parle-t-on là ? Ca me semble être un concept assez vieillot qui veut dire tout et son contraire (mais pas son contraire et tout, ça c’est la droite…). Je n’ai pas l’impression que la gauche de la gauche soit si « libératrice » que ça, du moins qu’elle le soit sous tous les angles. La justice sociale n’est-elle pas justement une de ces « déterminations négatives » ? Un carcan auto-infligé pour que que le « mieux vivre pour tous » ne devienne pas systématiquement une « meilleure vie pour moi que pour toi » ?

  2. Pour la première partie de ta question : en fait Michéa assimile le plus souvent les avancées sociales récente à de la régression de l’identité sociale.
    Par exemple, la loi sur le mariage homosexuel en France est identifiée comme la dilution de l’identité francaise, de la cellule familiale et du cadre moral. Sans se positionner du coté du bien ou du mal ( à la facon d’un Soral qui voit là un danger profond à cause de cette dilution même) l’analyse est assez juste : l’identité francaise est en évolution et va vers ( dans le cas du mariage homosexuel) un écart de la tradition. C’est le constat qu’il pose et qu’il rattache au capitalisme. C’est un argument dont je travaille les faiblesses pour la rédaction de la deuxième partie de ce billet.

    Ensuite il parle de la gauche socialiste francaise. Donc il ne prend pas en compte le Marxisme, mais bien l’interprétation marxiste instanciée.
    Je cite :

    Je me contenterai seulement de rappeler […] que ni Marx ni Engels […] n’ont jamais songé une seule fois à se définir comme des hommes de gauche. À leurs yeux, la droite désignait l’ensemble des partis censés représenter les interets de l’ancienne aristocratie terrienne et de la hiérarchie chrétienne. Tandis que la « gauche », elle même très divisée, constituait le point de ralliement politique des différentes fractions de la classe moyenne. depuis la grande bourgeoise industrielle et libérale – généralement acquise aux libertés nécessaires d’Adolphe Thiers- jusqu’à la bourgeoisie républicaine et radicale[…] (Les Mystère de la gauche, op.cit., p 18)

    Donc on parle bien de la gauche bourgeoise, celle qui est pouvoir en ce moment et non pas de la branche ouvrière de la gauche qui « mettait un point d’honneur à maintenir en toutes circonstances sa précieuse indépendance politique et organisationnelle. ( p19)

  3. Certaines éléments me sont incompréhensibles : comment lier le progrès technologique à la transformation de la société, en l’occurrence le mariage homosexuel ? Comment l’avancé de l’un favorise la mise au sommet de l’autre ? Le rapport entre les deux m’échappe complément.

    Aussi, un retour à la consommation locale n’est, à mon sens, ni du conservatisme (car justement il constitue un changement à l’état actuel commun) ni archaïsme (à ce que je sache, on ne va pas chercher ses carottes sur une charette aux roues approximativement rondes). À la limite, certains parlent d’involution. Ce qui n’est guère mieux.

    Les mouvements sociaux ne sont-ils pas des mouvements conservateurs ? On ne voit pas manifester des ouvriers parce qu’ils veulent un nouvel emploi, un nouveau poste, une nouvelle usine, mais parce qu’ils souhaitent garder leurs acquis, non ? Pas de bouleversement dans la routine, qui est déjà bien assez compliquée comme cela.
    Prenons l’exemple fumeux de l’écotaxe en France, qui touche la Bretagne (ou plutôt dont la Bretagne fait parler). En théorie, cela consiste à déployer et à avantager le transport ferroviaire pour les marchandises, dans un but d’économie financière et environnementale (nous dit-on). Mais, cela n’est pas tombé comme un couperet qui s’abat sur une royale tête. Cela fait quelques années (2008) que la chose est en place. La région, depuis, est resté sanglée sur ses acquis, sans voir et considérer le changement.
    Toujours concernant cette région (on va lui faire un beau paquet) : elle souffre indubitablement de la concurrence de l’Allemagne et de la Chine dans la production de matière première (porc, choux, salade, etc.). À mon sens, son problème est d’avoir voulu combattre sur un même marché alors qu’elle ne disposait pas des mêmes avantages fiscaux. C’est comme demander à un unijambiste qui tire un boulet de faire un cent maître contre Usain Bolt. Sa démarche aurait dû de s’aligner sur un marché autre tout en restant dans une production analogue : au lieu de chercher à se faire laminer sur la production de produit bas de gamme, inondée et dont elle est éjectée, elle aurait dû s’orienter sur le milieu et le haut de gamme.

    Est-ce que la droite, dans ce cas, est révolutionnaire ? Bin en fait, la question, c’est surtout : a-t-on vu des mouvements sociaux, syndicaux pour une évolution, un passage progressif et continu d’un état à un autre ? Les mouvements auxquels l’on assistent ne sont-ils pas dans la permanence, état qui demeure et qui se poursuit sans interruption ?

  4. 1. Comment lier le progrès technologique à la transformation sociale.

    Bien, disons que c’est pas mal un long shot.
    Disons que selon Marx, qui bizarrement fait toujours autorité en matière d’analyse sociale, la libération sociale de l’homme passe par le progrès technologique. C’est en gros l’idée une manière de comprendre l’industrialisation de l’Europe : on mécanise l’industrie pour libérer l’homme des tâches fastidieuses. Ca c’est l’angle économique.

    De facon plus sociétale, le progrès technologique implique des transformations de la configuration sociale. C’est le cas de l’évolution de la télécommunication qui reconfigure la notion de communication, de temporalité , etc.

    Donc ces deux aspects sont liés au niveau économique et sociétal ( qui sont les deux niveaux pertinents pour cette discussion) . Après il y a des manières d’interpréter cela, d’articuler les progrès et les transformations. Disons que pour Michéa c’est pas du un pour un : à une transformation ne correspond pas une cause technologique unique. Pour le mariage gay, on peut voir que c’est le résultat d’une imprégnation économique de la communauté ( développement du marketing ciblé via les réseaux sociaux), une revendication identitaire ( grâce à la communication de masse et à la communication ciblé) …etc. Donc c’est une somme d’avancées technologiques, transformées le plus souvent en réalités économiques qui sont la base d’une transformation sociale .. pfiou !

  5. 2. La consommation locale comme archaisme.

    C’est, du point de vue sociétal et économique un retour en arrière.
    Sociétal car c’est l’abandon d’une partie de la mécanisation ( pas besoin de milliers d’hectares de champs de petits pois pour nourrir le Sud Charente … enfin, si le régime alimentaire moyen des charentais n’a pas changé …).
    Économique car c’est justement aller à l’encontre de la pensée d’économie globalisée ( mondiale préfèrent certains), de l’idée de consommation de masse, de réseaux de distributions globaux, de stratégies nationale ou mondiale … bref, dans une économie où tout est local difficile de devenir gros. Et justement, devenir gros c’etait un des gros avantages de la mécanisation et de la globalisation …

    Donc je pense que c’est en ca que Michéa y voit un archaisme. ( il se place dans la perspective historique )

  6. 3 . Les mouvements syndicaux sont ils conservateurs ?

    Là encore, si tu places dans la perspective historique c’est très récent que les syndicats militent pour ne pas perdre …avant ils militaient pour gagner des avantages ( congès payés, semaine à 45, 40 heures, couverture sociale) et non pas stabiliser la situation. Ce gain en augmentant le confort résolvait la pulsion capitaliste ( selon Michéa)

    Du coup, on voit les mouvements de gauche se diriger vers le conservatisme ( comme tu le soulignes) et se rapprocher de la droite. Pas de la droite libérale, mais de la droite interventionniste idéalisée ( genre de Gaulle). C’est cette idée que je développe pour montrer le potentiel révolutionnaire d’une nouvelle forme de gauche dans la suite de l’article : http://anacreon.azurewebsites.net/2013/11/la-gauche-comme-outil-de-contestation-au-liberalisme-22/

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