Je suis, en ce moment, en train de lire un excellent livre. Excellent non pas parce que je suis d’accord avec le traitement (loin de là), mais plutôt parce que je trouve qu’il s’attache à des questions pertinentes qui amènent beaucoup de réflexions. J’espère trouver le temps rapidement de vous entretenir donc de Pourquoi créer ? de Pierre Bertrand… mais chaque chose en son temps.
Cependant, un passage de ce livre me plonge dans un questionnement profond dont je voudrais vous faire part : peut-être que vos lumières me permettront d’avancer d’une manière ou d’une autre. Voici l’extrait :
Là où j’en suis maintenant, je crois de plus en plus que l’art d’écrire, comme tout autre art d’ailleurs – et dans mon esprit cela inclut non seulement la peinture et la musique par exemple, mais également les sciences et les techniques —, je crois donc que tout art particulier est subordonné à un art plus profond, plus subtil, plus impalpable, plus invisible, plus insaisissable, à savoir l’art de vivre. Mais l’art de vie est comme la sagesse. La notion est empreinte d’images, de clichés, de connotations dont il est difficile de la disjoindre. J’aurais tendance à dire […] oublions la sagesse ! (p33)
Je ne peux reproduire davantage le développement de cette problématique particulièrement intéressante. Pour vous montrer que je ne suis pas un dangereux « blogguer » sadique qui propose des débuts de réflexions pertinents et laisse, ensuite, le lecteur moribond dans le désarroi glacial et imbécile d’un suspens de raisonnement, je dirais que Pierre Bertrand remplace la sagesse par une diététique de l’observation. Pour ceux qui en veulent plus qu’ils lisent le livre, ou, à la rigueur qu’ils attendent, impatients et fébriles, le critique douce-amère, empreinte de cet humour chamarré et rudoyant et pourtant tellement humain qui vous fait tant rire que je finirais par écrire, incapable de résister plus longtemps à la sensation délicate de mettre de l’ordre dans le capharnaüm psychotique qui me sert de psyché. Bref. À suivre.
Je trouve que l’observation est juste : peut-on s’entendre sur une définition épurée de la sagesse ? Qu’est-ce qu’être sage ou être un sage ? Et surtout comment penser un discriminant ?
Voila plus de trois semaines que je pense au problème et j’en arrive à une première conclusion : il va de la sagesse comme de l’amour. Tout le monde en parle, mais finalement personne ne s’accorde véritablement sur une définition utilisable, formalisée. À mon avis, cela est dû à deux causes essentielles : premièrement le concept n’a pas d’utilité pratique dans le quotidien (si nous avions une définition claire de l’état amoureux alors je pense que 30 % de nos relations sociales deviendraient derechef insipides et les analystes de l’esprit humain se retrouveraient dans le plus profond des marasmes économiques pour utiliser une expression à la mode). Nous préférons souvent rester dans une sorte de flou conceptuel, un no-man’ s-land affectif pour savourer la souffrance jubilatoire de l’état amoureux. Je pense que ce flou est la définition même de l’état amoureux !
Deuxièmement, il me semble qu’il y a autant de manières d’être amoureux qu’il existe de façon d’être tout court : le concept même d’amour n’embrasse aucune réalité particulière, mais plutôt un vaste ensemble de cas particuliers, une sorte de sentiment de masse que l’on acquiert par osmose. Du coup, le concept ne s’applique jamais vraiment à plein et il faut tout le temps l’adapter, le tordre et le transformer pour le faire s’articuler avec notre expérience. L’amour reste un concept qui s’instancie en relations, échanges et autres affinités chimiques.
Le concept de sagesse fonctionne, il me semble, de la même manière : faible utilité au quotidien et concept très dépendant de celui qui l’applique. Car tout le monde y va de sa petite contribution : un sage est détaché de la réalité, mais ressent les choses profondément, il vit dans sa temporalité, mais prononce des vérités atemporelles, il comprend la réalité de l’existence, mais ne se préoccupe que de choses supérieures… bref, il me semble que le sage de la pensée populaire (celui qui me vient à l’esprit quand j’y pense poupouff comme ça) se trouve à concilier les antagonismes, à faire le grand écart entre des oppositions.
Cependant, intuitivement, il me semble que cette image d’Épinal ne fonctionne pas avec ce que je lis des philosophes et des penseurs : le Zarathoustra de Nietzsche rejette et attaque, celui d’Onfray se gausse et mange, celui de Bertrand contemple et concilie, celui de Platon fait de la spéléologie et gouverne, etc.
Donc, de la même façon qu’il existe des relations à l’amour (platonique, extatique, romantique, destructrice) il existe des relations à la sagesse. Je pense être sur le point de commencer une suite de réflexion sur la sagesse pour mieux dessiner le sage qui me convient.
Cependant, il me semble que le parallèle avec la figure de l’amoureux ne peut être poussée plus avant, car j’ai l’intuition que si l’amour est un concept positif celui de la sagesse est un concept négatif. Je n’entends pas ici négativité ou positivité, mais plutôt un mode de réflexion : nous avons tendance à utiliser le concept de sagesse en contrepoint, en opposition à quelque chose, comme une figure d’anti-identification. Nous disons plus facilement que le sage ne fait pas de différence entre les religions qu’il est un syncrétiste religieux, qu’il se détache de la réalité matérielle plutôt de le définir comme un idéaliste ou un antimatérialiste, etc. Le sage est une figure qui n’est pas réelle, qui n’appartient pas à notre monde, mais plutôt au domaine de l’idéal : du coup nous ne pouvons le définir que par où nous ne le trouvons pas, que parce qu’il n’est pas.
Je voudrais donc troquer ce paradoxe par une vision plus réaliste de la sagesse humainement accessible.
Et coucou mon ami. Tout va bien ici? Super!…
Comme je te l’ai laissé sur le réseau social, je pense que Bertrand fait une erreur dans la citation que tu exposes : rendre l’art de vivre racine des arts, et le faire sagesse. J’ai envie de faire un peu le barbare mongol revenant d’un broutage de prairies plus montagneuses que valonneuses après d’un détartrage amical au voisin du coin : il ne fait pas preuve d’un ésotérisme primaire ton gars là.
Je m’explique simplement : n’est-ce pas un trop facile de définir ce qui n’est pas matériel comme racine de qui l’est? On trouve assez souvent cette schématisation, ou bien hiérarchisation de la création. Si j’écris un texte, une partition, ma liste de course, c’est parce que je pense à le faire, cela par d’abord d’une réflexion, ce qui sauf preuve du contraire ne peut être tenu dans la main tangiblement, sinon on se ferait des batailles de réflexions comme des batailles de polochons, et on risquerai moins de s’étouffer avec des plumes quoi que, et cette immatérialité va se former matériellement sur le support de notre choix à disposition, mémé pourquoi pas. Cependant, je vais la poser façon la poule et l’oeuf : ma réflexion s’établit parce que je sais que je peux la matérialiser, ou bien la matière fait que nous avons une réflexion. Là ce qui est marrant, c’est qu’en utilisant le terme de « matière », on peut partir sur des notions astro-métaphysiques pour des voies de réflexions…
Bref, cela pour dire que, pour ma part, il ne faut partir de l’idée reçu que ce qui est palpable à pour source ce qui ne l’est pas. Si elles sont opposées dans la conception, elles n’en sont pas moins égales et complémentaires, l’une et l’autre disposant-dépendant de l’une et de l’autre.
Cela étant fait, je passe sur la sagesse et sa définition, et pardon si je te coupe : on arrive déjà pas à donner une définition de qui est visible, alors ce n’est pas pour en donner une à ce que l’on ne peut observer. Chaque terme, et on peux prendre je pense n’importe lequel, dépend irrémédiablement de son époque, de son lieu, de son héritage, de sa projection, et aussi de la personne qui le dit. En gros, il est contenu par un espace-temps défini, dans une personne fini. Ce qui n’en fait pas grand chose hélas à l’échelle universelle, tout juste un tabouret.
Je n’ai pas grand chose à rajouter, car je suis complètement ta réflexion, et je pense être suffisamment condamné pour infamie et digression pour aujourd’hui.
Cependant, je trouve que cela amène un débat intéressant qui peut d’avantage éclairer un chemin sur la voie de cette réflexion : la tolérance ou l’ouverture d’esprit. Il faut, cela n’engage que moi, partir sur ce que sont les bornes et les limites, s’il en est, de ce que nous sommes, et je pense que notre tolérance (matière) et notre ouverture d’esprit (non-matière) en ont. Alors il est nécessaire de les déterminer, les cassés ou les annulés, afin de pouvoir arriver à une définition qui ne sera pas fini de la sagesse. Et je pense que se présente un fil rouge présent à toute sagesse, qu’elle en soit défini ou bien perçue par au moins une personne.
Aller, joue avec moi à la découverte du fil rouge. Si tu trouve des indices, cela te rapprochera du concours « je te tiens tu me tiens par la barbichette » avec les frères Bogdanov…
1 Sur la question de l’Art de Vivre
Je suis d’accord avec toi, mais peut être pas pour les mêmes raisons : tu invoques et démontes efficacement le dualisme esprit/ matière et c’est justement de ce genre de dualité dont je voudrais m’affranchir. Cette opposition est très enracinée dans la culture occidentale et finalement, représente pas mal le mode de pensée judéo-chrétien. Je tente d’apprendre à me dispenser de cette opposition.
Il me semble qu’en fait que Pierre Bertrand mélange deux concepts : l’hygiène de vivre et l’art de vivre. Si nous prenons le personnage principal du Maître de Thé de Yasushi Inoue : par l’hygiène de vie (la pratique de la cérémonie du thé au quotidien) il arrive à un art de vivre. La première est le moyen du second. On transforme sa vie en « art » par une hygiène quotidienne. Les arts classiques peuvent, à mon avis, faire partie de cette hygiène, servir un projet plus vaste que la simple pratique.
Bertrand mélange donc moyen et visée. Son terme « d’art de vivre » est trop large pour être vraiment efficace.
2- La question de la sagesse.
Oui la sagesse est idiosyncrasique : elle est fonction d’une époque, d’une culture, d’une société, etc. Cependant, comme tu le laisses entendre, il y a peut être une sorte de lien intemporel à trouver. C’est ce que tu appelles, il me semble, un fil rouge.
J’ajoute à cela l’idée qu’il existe probablement plusieurs instances du concept de sagesse (et nous revoilà dans le dualisme) qui s’articule justement autour de l’idiosyncrasie : la figure du sage en occident est certainement différente de celle de l’orient, celle du Quadroccento italien n’est pas la même que celle de l’Italie berlusconienne.
3 – Le projet de réflexion
Donc je vais tenter deux axes : un qui travaille autour de cette « intemporalité » du concept de sagesse et un deuxième qui s’attache aux figures du sage.
Jouer à » tu me tiens par la barbichette » avec les frères B., faut aimer avoir les mains pleines !