Décidément, je vais finir par tomber en amour avec cette maison d’édition. Autant vous le dire tout de suite, j’ai beaucoup aimé ce premier roman de Stéphane Platteau. Une belle surprise et surtout une bonne matière à réflexion.
En deux mots, l’histoire est assez simple : un groupe de soldats remonte un fleuve un peu paresseux pour fuir une guerre et trouver une manière de survivre. Le roman s’ouvre sur le repêchage difficile d’un homme, à demi mort, qui dérive sur le courant, les mains attachées à une branche. Les membres de l’équipage, et plus particulièrement le Barde, vont alors avoir de longs entretiens avec lui pour comprendre comment il est en arrivé là. L’histoire du jeune homme s’entremêlera avec celle de la lente remontée du fleuve, de la vie de l’équipage et de leur quête.
L’intérêt du bouquin, vous l’aurez compris, ne réside pas tant dans l’histoire du roman en tant que telle. Exit les sorts qui détruisent des armées, les superhéros surdynamisés aux rayons celesto-cosmiques de la mort qui tue, les chevaliers badass, genre Machete, qui, à tour de pages, sauvent de la veuve et de l’orphelin en en créant une poignée d’autre dans la foulée. Non. Ici, la tension dramatique se tisse autour de la construction de personnages troublants d’humanité, de l’alternance des récits qui laisse sans cesse des zones d’ombres, des doutes et des attentes et, surtout, dans la description savamment diluée d’un monde fourmillant de vie.
Je pense que si le roman fonctionne aussi bien d’ailleurs, c’est essentiellement grâce à cette densité, à cette cohérence dans les détails qui donne corps à ce monde et qui fascine le lecteur. Chaque page révèle son lot de mythologies, des croyances, des superstitions. J’avais aimé le procédé dans le Même pas Mort de J P Jaworski et je le trouve peut-être encore plus réussi dans celui-ci, car la structure, plus simple du roman, et la moins grande complexité des personnages laissent plus de place au regard du lecteur pour se promener, pour prendre la mesure de l’articulation entre l’ancien et le nouveau monde. C’est riche, c’est subtil et souvent délicat. On sent véritablement bruire, dans les arrières cours de l’action, un monde ancien, parcouru par des dieux déchus, des créatures incroyables et des peuples inquiétants. On ressent aussi avec force les enjeux politiques, pourtant sombres et complexes du monde des hommes : les alliances impossibles, les guerres, les trahisons et les tentatives d’accéder à la puissance des anciens. Tout cela est servi par une langue très imagée, légèrement emphatique (ce qui convient bien pour des Bardes et les dirigeants que sont les personnages principaux) qui épouse l’ambiance médiévale. C’est terriblement immersif et particulièrement agréable.
On est vraiment dans le cas d’un roman où, bien que les événements soient prenants, l’univers interne est possiblement l’intérêt principal. C’est d’ailleurs ce folklore, cette « culture » de la population qui fait le lien entre les protagonistes, les lieux et les époques. C’est le dénominateur commun à tous les personnages et à toutes les actions. Et du coup, de la sensation d’un doux conte qui est prégnante en début de livre, on a parfois la sensation de passer du coté de la découverte anthropologique d’une civilisation disparue, de faire une promenade imaginaire, du tourisme romanesque. C’est tout à fait étonnant. Alors, on s’entend, ce n’est pas un roman sociologique! On n’est pas en train de se taper Crise de la société paysanne en Béarn de Bourdieu. Non. Ca brasse quand même nettement plus que ça, et on peut lire Manesh juste pour l’action et l’aventure. Mais je pense qu’on raterait quelque chose de beau et de rare car on lit souvent plus pour continuer à découvrir l’univers que véritablement par besoin de connaître la résolution des actions. D’ailleurs, l’auteur très conscient de ce fait construit le roman comme les contes de Shéhérazade. Découvertes sans cesse entrecoupées, interrompues je confesse avoir eu peur que le procédé lasse ( c’est une des raisons pour lesquelles j’ai véritablement de la misère à lire A Game of Throne tant le récit est elliptique). Et pourtant non. Car si l’action est entrecoupée, le dévoilement progressif des croyances, des coutumes et du quotidien est, lui, constant et assouvi donc la soif de découverte du lecteur. Encore une histoire de structure narrative qui dépasse de loin l’histoire…
Peut-être le point le plus nodal de ce livre, et la raison pour laquelle je vous assaille le processus cognitif avec mes émois littéraires, c’est que cet ancrage dans un folklore, dans un monde bruissant donne beaucoup de corps aux personnages. Leur psychologie, leur quête s’articulent autour d’une sorte d’épistémè propre à ce roman : une logique qui se tisse à longueur de page dans un canevas émotionnel très intense. C’est très humain. Et d’ailleurs, la grande majorité des éléments déclencheurs sont des réactions passionnelles, relativement basses dans la pyramide de Maslow (quête de survie, d’identité, etc.). Du coup l’identification et l’empathie fonctionnent à fond car les enjeux nous sont familiers. Décrire un monde pour assoir les enjeux dramatiques intimes des personnages. Voila je pense la principale réussite de ce bouquin.
Stefan Platteau, dans ce premier tome tout du moins, ne décrit pas une grande épopée, une grande quête salvatrice ou héroïque, mais bien une aventure humaine, une anecdote perturbée par le destin qui laisse rêveur, profondément touché et avide de connaître la suite. On espère juste que la suite arrivera rapidement et pendant ce temps je retourne à mon occupation première : le ski acrobatique naturiste … un sport de l’extrême quoi qu’en disse la Fédération Francaise de Ski.
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