Soyez les bienvenus!
Aujourd’hui, je ne suis pas d’humeur liminaire, alors commençons sans plus tarder. Je suis tanné de ces articles qui mettent des plombes à ce mettre en route, et qui, sur un ton vaguement badin (ou de la confidence c’est selon de quel bord de chez Zara Champs Élysée vous habitez) vous narre leur mal de vivre, leurs problèmes existentiels et la langueur consubstantielle à toute activité littéraire qui se doit, avant de pouvoir saisir un problème à bras le corps, commencer par un paragraphe qui explique combien il est insupportable de faire une introduction, qui, sur un ton vaguement badin (ou de la confidence c’est selon…. ) vous narre le mal de vivre, les problèmes existentiels…. etc.
Poupouf
J’aime bien Jean Marie Gourio. Je trouve qu’il a une bonne tête. Et puis j’aime les Brèves de Comptoir. Il me fait rigoler. Alors quand je l’ai vu en promo pour son dernier livre : Sex Toy je me suis dit que ce pourrait être pas mal d’aller le lire… histoire de changer des poivrots, des piliers de comptoir et des élucubrations. Un mec frisé ne peut pas être fondamentalement mauvais.
Mauvaise pioche.
En deux mots, l’histoire est celle d’une fillette de treize ans, alcoolique, défoncée jours et nuits et obnubilée par le sexe que ces amis consomment grassement sur le net. Ah oui, paranoïaque, la fillette … sinon c’est pas drôle
Groovy!
Autant vous le dire tout de suite, on navigue clairement dans le sordide, dans l’ignoble et dans le révoltant. En gros, le père Gourio (ceci est une blague à caractère intellectuel… je vous permets de la ressortir dans votre prochaine soirée « Cuir, Moustache et Calembours » qui a fait le succès des nuits parisiennes dans le Limousin) voulait nous mettre un livre dans la gueule, alors il a pris les thèmes les plus glauques de la galaxie et les a mis dans un livre et nous les vend. 200 pages à se vriller les orbites avec une fraise de dentiste. C’est à vous faire détester l’engeance humaine (et peut être même les bébés chatons… ce qui, à bien y penser, serait possiblement une bonne chose). Ambiance suffocante et destruction programmée, je pense que la Liste de Schindler était fondamentalement plus marrante que ça! C’est vraiment pas Feng Shui ….
Alors la question pourquoi lire cela?
Pour le style. Un style très particulier : des phrases courtes, simples, rapides, enchainées les unes aux autres sans trop de liens. Sur le mode de la pensée effrénée. Du coup, les premières pages font penser à une dissertation d’adolescent.
J’ai fait un malaise dans un café. Le patron a appelé les pompiers. Ils m’ont emmené à l’hôpital. Aux urgences, ils ont commencé à me faire chier. Mon nom. Mon âge. Le téléphone de mes parents. Si j’avais des papiers sur moi. J’ai raconté n’importe quoi. Ils ont voulu me mettre dans une pièce à part, je crois, pour me déshabiller pour voir si j’avais reçu des coups parce que comme une conne j’ai dit que j’avais été violée. Je sais même pas pourquoi j’ai dit ça. Pour les faire chier
Cette manière d’écrire portera le roman jusqu’à la fin. D’ailleurs, c’est uniquement grâce à ce style que le livre fonctionne. C’est cette course, cette économie de mot qui permet au lecteur de supporter l’aigreur de livre et d’en surmonter les défauts les plus patents.
Pour n’en citer qu’un, (parce qu’après on me traite de sale con, et je sanglote en petite dans ma salle de bain, lumière éteinte) il y a, dans ce livre une quantité étonnante d’erreurs et d’anachronismes. Cette jeune fille de 13ans, qui sèche les cours et se défonce à longueur de temps à des références des années issues 80 :
J’ai les cheveux presque complètement rasés, comme une chanteuse irlandaise que j’ai vue l’autre jour à la télé : Sinead O’Connor. (p17)
Ok tu regardes quoi comme chaîne de télévision toi? Parce que bon, le dernier album de Sydney O’Connor remonte à 2007! Ou encore :
Tic a recommencé à gueuler, il faisait la sirene de police en agitant ses bras au dessus de sa tête et en sautant sur place, comme il avait une iroquoise ratée on aurait dit le retour navrant des Sex Pistols […] (p45) ..
Vraiment ta référence de mec avec une crête sur la tête c’est Johnny Rotten? À 13ans? Vraiment? Sacrement, ça a changé MTV!
Aux références bizarres, il faut ajouter un langage plein d’argot et d’expression des années 90 : on trouve donc le terme de boutanche (p45), l’expression d’avoir les foies (p 68), de marchand de couleur (p169…. c’est la page, pas l’année où l’expression était encore utilisée!) ou encore une imagerie clairement d’une autre génération :
À la campagne des culottes qui sèchent dans le vent des prés c’est pas pareil qu’en ville, ici, les immeubles sont les uns sur les autres, en Italie, c’est différent aussi, les culottes qui sèchent aux fenêtres, souvent, c’est des vieilles femmes habillées en noir qui étendent la lessive, le soleil rend le tissu gai et joli (p36)…
Bonjour, je vis dans un film de Fellini et je veux faire croire que je suis une fillette de 13ans! N’importe quoi!
En plus de ces incohérences de langage, j’ai trouvé que la psychologie des personnages n’était pas très poussée, voire carrément anecdotique. En entrevue, J M Gourio explique que c’est à cause de l’égocentrisme de son personnage qui n’est pas vraiment capable de s’intéresser aux autres. Il en résulte un roman de plus en plus centripète qui laisse énormément d’enjeux en suspens. Ça effleure le glauque sans jamais vraiment le confronter, ça régurgite les remugles nauséeux du plus profond de ce qu’on ne veut pas voir sans jamais avoir le courage de nous le montrer.
Alors que penser de Sex Toy?
Je pense qu’il y a beaucoup d’imperfection et le fait qu’on sente la culture de l’écrivain constamment guider les personnages est un échec patent. Le style, qui est le moteur de ce livre fonctionne assez inégalement, car s’il permet de terminer le roman (les 50 dernières pages sont vraiment entêtantes) il amène lentement le lecteur à se désintéresser de l’histoire. Cependant, il est important de noter que certains passages fonctionnent à plein et, pour être honnête, ce n’est pas si souvent qu’on lit en apnée.
C’est donc un livre à lire : plus à lire pour l’expérience de lecture que pour l’expérience littéraire. Rien que ça, c’est déjà énorme