Ah c’est vous ? Quelle douce attention de venir me visiter …. tirez vous une bûche, infusez vous une camomille et laissez moi vous narrer mes dernières turpitudes littéraires.
Au détour de mes errances Youtubesques, je tombe nez à œil avec un mec qui m’a l’air particulièrement antipathique : Marc Édouard Nabe. Une fois n’est pas coutume me direz vous, le net regorge de gens fondamentalement désagréables. C’est un fait, mais il faut admettre, que ce M. Nabe à quelque chose de plus : banni des médias dans le milieu des années 90, il semble être la hantise des animateurs de télévision. Vindicatif, vulgaire, cynique, irascible, buté, narcissique … bref, au bout de trois vidéos je n’avais qu’une envie : lire ce que ce mec là peut écrire.
Son premier bouquin, à Marc Édouard, s’appelle Le Régal des Vermines. À ce que j’ai pu en voir ou en lire, il semble que ça soit un brulot insupportable : du mauvais goût et du génie en même temps, on ne peut pas lui en vouloir il écrit si bien, c’est Céline dans un corps d’avorton, etc. Bon l’ouvrage semble être à l’index pas mal partout donc je me suis rabattu, dans ma frénésie consommatrice, dans mon emportement passionnel, dans ma soif d’être choqué sur son dernier roman L’enculé. Tout un programme.
En gros, c’est l’histoire, racontée à la première personne, de l’affaire du Sofitel de Dominic Strauss Khan. Incipit :
Je suis un enculé. C’est drôle c’est souvent ceux qui enculent les autres qu’on traite d’enculés. Moi je mérite bien ce nom, à bien des titres. Je vous raconter ici comment un enculeur s’est fait enculer. Et ce ne sera pas du roman, tout sera vrai, enfin vrai selon moi. Après voir enculé le monde entier, je me suis fait enculer aux yeux de ce même monde, entier.
Le ton est donné : cru et sans concessions. Mais rapidement, on se rend compte, aussi, qu’on oscille entre ce genre de dénonciation et un humour noir assez mal-aisant.
C’est un réflexe de survie. Dans certains cas, la femme mouille pendant le viol malgré elle. Le corps peut même parfois jouir pour destresser le cerveau révulsés par l’acte subi…. L’orgasme chez les violées, ça existe !C’est même embêtant car ça rend plus difficile la victimisation. « Voyez ! Dire l’accusé, elle a joui, je ne l’ai donc pas violée …. »| Alors que pas du tout ! Sous la menace des coups, aucune femme ne s’aventurerait à planter ses crocs dans une pine, elle ne sortirait pas vivante de la pièce.
Tout le roman fonctionne sur cette sorte d’ambivalence du grotesque et du tragique, de l’humour noir et de l’indignation. C’est très étrange à lire. Vraiment.
Ce va et vient entre ses sentiments vient d’un personnage principal, narrateur, complètement désincarné, distant de tout, de tous. Il raconte les événements de façon un peu atone (sauf s’il parle de sexe), en semblant seulement refléter le cynisme effroyable du monde dans lequel il évolue. Du coup, il est difficile de s’identifier, de prendre part à ces péripéties, parce que si lui s’en fout, nous, par osmose, on s’en tamponne aussi.
Là où le problème de ce roman réside est donc la faible épaisseur des personnages. Ils ne sont pas crédibles. Une Anne Saint Claire fanatique d’Israël (au point de reprendre à son compte la distinction de Desproges « le monde est divisé en deux grande partie : les juifs et les antisémites »), un Dominique Strauss Khan épuisé de la politique, hypersexué, obsédé, compulsif à la limite psychopathe, etc.
Du coup, la distance gênante qui fonctionne à plein dans l’Étranger de Camus ici ne prend pas vraiment. Ça tombe un peu à plat, ça ne semble pas vraisemblable. Et puis, le parti pris n’est pas tenu : les personnages sont tantôt d’un cynisme total et glaçant, puis quelques pages plus tard font preuve de sentiments, de remords ou d’empathie. C’est dommage.
Alors, il reste l’humour. Parce que oui, ce livre est comique. Enfin, comique, faut le dire … je sais pas trop comment faut le dire d’ailleurs, mais il faut le dire ! C’est du mauvais goût, assez trash, insidieux, un peu haineux … un truc bizarre que je n’avais jamais lu ailleurs genre Anne Saint Claire qui fait dormir son mari dans un pyjama rayé, étoilé de David pour ne pas oublier la Shoah, c’est aussi Dominic Strauss Khan qui monologue avec sa bite, c’est Jean-Pierre Elkabbach en fan de rodéo western … bref c’est un peu mondain ( il balance un autre incalculable de gens), acide, injurieux et franchement de mauvaise foi.
Pour être honnête, pendant la lecture (que j’ai faite d’une traite : le style s’y prête facilement) je me suis vraiment demandé ce que je lisais. Je n’ai pas aimé les personnages, l’humour m’a laissé froid et les scènes hard core sont finalement relativement édulcorées (en comparaison à un Murakami, par exemple). Alors que reste t’il ? Est ce si nul que ca ?
Je ne pense pas que ce livre soit bon. Il y a trop de choses fatigantes et mal ficelées dedans. Je ne pense pas non plus que la comparaison entre Céline et Nabe soit justifiée : vous ne trouverez ni la musique ni le souffle d’un Voyage au bout de la Nuit. Cependant, je crois que ce livre a quelque chose de nécessaire. Il incarne un humour qui n’existe pas grand part ailleurs, un truc qui laisse une sensation étrange quand on repense au livre une semaine ou deux après, un sentiment un peu gênant d’avoir souri à l’abject.
Finalement, j’ai aimé l’expérience.
Un seul conseil : renouvelez cette expérience que vous avez tant aimée (avec un autre livre de Nabe, évidemment !) ; mais attention à l’addiction qui vous guette 😉
ps – Le Régal des vermines, étant réédité par l’auteur, est parfaitement accessible
pps – Lucette, vient tout juste d’être republié en Folio, une occasion rêvée pour découvrir une autre « facette » de l’écrivain
Ahah merci tilly du conseil … je vais aller lire d’autres choses de lui, dès que j’en aurai le loisir.
Accèder au Régal des Vermines depuis Montréal, n’est pas une chose si simple : il est emprunter sur 9 générations au moins à la Grande Bibliothèque, et aux vues des frais de port, je pense que c’est Marc Edouard Nabe, lui même, qui dresse des dauphins albinos pour nous faire parvenir ses ouvrages ici !
Par contre, que pensez vous du personnage ? À le lire, je commence à comprendre, mais n’avez vous pas un peu de misère à cautionner ce mec là ?