Salt, Phillip Noyce, 2010 : La figure de l’ennemi

Attention ce texte présente des éléments de l’intrigue

Au détour d’un voyage à Québec, la douce providence, celle là même qui rend la vie agréable et absurde, me poussa dans une salle obscure pour y voir le nouveau film d’Angélina Jolie : Salt. J’y suis allé mollement, sans réelle envie, certain d’avoir à faire à une énième daube d’espionnage où le gentil est méchant jusqu’au moment crucial où son plan infaillible nous est révélé dans des détonations de revolvers. La vie étant relativement bien faite, je n’ai donc pas été surpris d’avoir un sentiment de déjà vu riveté ici (voir figure 1) :

c’est un film qui ne sort pas de sa zone de confort : intrigues classiques, scènes d’action relativement attendues, cabotinage de l’actrice californienne à chaque résolution de séquence (sincèrement, je pense qu’elle a  des actions chez « Petit Sourire Narquois sur Lèvres Pulpeuses », ca en devient presque un gimmick … à ce sujet, il m’a rarement été donné de voir autant de plan d’une actrice de profil ; alors, peut être que cela met en valeur je ne sais quelle partie de l’anatomie d’Angélina Jolie, mais il faut admettre qu’on bout d’un moment, ca finit par faire égyptien tous ces gens de coté !)

Bref, allez le voir si vous aimez les choses un peu convenues, vous ne serez pas déçus, sinon, profitez de la vie, le prix du pétrole va bientôt remonter.

Cependant, je pense que l’intrigue reflète bien une certaine ambiance américaine, et, à certains égards, s’inscrit dans une forme de propagande passive. À nous, donc, les références à Kracauer et son De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du cinéma allemand.

Superstructures : l’ennemi intérieur, l’ennemi extérieur

  • Intérieur

Je suis convaincu que l’on pourrait facilement faire une histoire du cinéma américain sous l’angle des traîtres à la nation et de l’ennemi intérieur. Disons que c’est un héritage de la guerre froide, mais je suppose que le patrimoine puritain et la morale chrétienne y jouent pour beaucoup aussi.

SALT, réanime ce vieux fantôme d’espion dormant, mais en y apportant une variation tout à fait intéressante : celle d’espions enfants qui accaparent l’idiosyncrasie américaine via des institutions internationales.

Pour moi, un espion dormant, c’est un mec hyper balèze qui se planque dans un coin perdu de l’Arizona en attendant un signal étrange pour faire sauter des usines de pétrole. Le méchant est facilement reconnaissable : il a un accent russe à couper à la hache de guerre, il boit de la vodka, mesure 2 m 60, a les yeux bleus, embrasse une photo de Staline avant de se coucher et prône des trucs débiles comme les 35 h, une couverture sociale universelle et la réhabilitation des manteaux en peaux de phoque. Bref, il est méchant de toute son âme.

Ici, les espions dormants sont des enfants entrainés en Russie, « brainwashés » par les méchants et envoyés aux États-Unis par relations internationales (ONU, échanges diplomatiques, etc.) pour infiltrer les grandes écoles et les hautes institutions, bref pour devenir de supers américains. Ils restent tout de même grands aux yeux bleus, boivent de la vodka et reprennent leur accent dès qu’ils sont en mission (en tout cas, dans la version doublée en français, lorsque le scénario veut nous amener à avoir des doutes sur le côté qu’a choisi Salt, il l’affuble d’un accent russe à donner des maux de tête à Gorbatchev… ridicule !), mais ils ne sont plus socialement soupçonnables. C’est une différence très importante qui est le ressort dramatique même de la révélation finale du film. Les ennemis sont parmi nous, et ils n’ont même pas de signes distinctifs qui permettent de les reconnaitre ! (on se rappellera avec émoi les auriculaires raides des Envahisseurs (Larry Cohen, 1967))

Ces enfants sont d’autant plus inquiétants qu’ils sont insensibles à l’arme la plus efficace de l’imaginaire américain : l’universalité du rêve américain. Effectivement, les gens qui vivent auprès des Américains finissent fatalement par être convertis grâce à des notions telles que l’amour et la liberté. C’est une résolution classique des films qui traitent de l’ennemi intérieur (Spy Game, Tony Scott, 2001 ou encore GI Joe Rise of Cobra, Stephen Sommers, 2009). Dans le film, il est précisé que ces enfants, élevés en Russie dans leur prime jeunesse apprennent particulièrement à résister aux sirènes des États-Unis pour rester des machines de guerre. C’est dire si les méchants sont méchants !

Bon, le film reste tout de même américain et ne révolutionne pas vraiment le genre, et malgré son entrainement de soviet, Évelyne Salt sauvera tout de même le président des états unis, parce que décidément être méchant c’est vraiment pas la classe. Mais il n’en reste pas moins que l’ennemi intérieur évolue et qu’il est plus intérieur que jamais.

  • Extérieur

Pour qu’une intrigue fonctionne correctement il faut qu’elle soit vraisemblable. Elle gagne en force si elle comporte certains événements  avérés car ils ancrent le récit dans la réalité. D’ailleurs, la vraisemblance se construit souvent sur le socle d’événements historiques.

Si je vous parle de ceci, ce n’est pas pour vous démontrer que j’ai encore la Poétique d’Aristote en tête, mais pour amener à un autre point : comment est-ce que l’on construit un message propagandiste ?

Lorsque les méchants espions russes, élevés à l’american way of life, finissent par prendre et armer les missiles nucléaires américains, ils ne visent pas les grandes villes russes, mais plutôt les capitales des états musulmans, prétextant qu’une guerre contre les musulmans achèverait à coup sûr les États-Unis. Ce rebondissement, somme toute relativement anecdotique dans le déroulement de l’intrigue, est, il me semble, porteur d’un message très fort : les véritables méchants ne sont pas les Russes, mais une potentielle coalition entre les pays musulmans.

C’est ici que l’articulation entre vraisemblable et avéré fonctionne à plein et met en marche l’imaginaire, car, les russes, on le sait tous, ne sont plus vraiment à craindre par les temps qui courent, et d’ailleurs, dans le film, le président Russe est très proche du président américain. L’histoire rejoint une certaine réalité sur ce point. Cependant, en proposant un autre ennemi (un regroupement d’états musulman) beaucoup plus vraisemblable, on active tous les faits avérés qui étayent cette idée. Effectivement, l’effet marche du tonnerre : lorsque l’on se rend compte que ce sont Téhéran, Riyad ou Amman les cibles des missiles, le spectre des attentats sur New York et des guérillas dans le désert nous reviennent à l’esprit instantanément et notre imaginaire continue cette construction jusqu’à ce que le film nous rappelle à l’ordre.

Cependant, à ce moment précis nous ne sommes plus dans l’histoire du film ; nous quittons la fiction pour en légitimer la vraisemblance par des événements avérés : c’est la Poétique à l’envers et c’est une arme d’une incroyable efficacité. Cet abandon momentané de la fiction pour se remémorer un moment de faiblesse des américains constitue, à mon avis, un acte de propagande pur, simple, subtil et d’une incroyable force. Il ne faut pas pousser en disant que c’est le message essentiel du film : je persiste à croire que le divertissement reste l’objectif premier de ce genre de production.

Cependant, je ne pense pas être dans l’erreur en affirmant que ces deux visions des ennemis induisent une peur profonde et un sentiment d’insécurité que l’on retrouve dans les médias américains. Salt est donc un film américain de son temps : à mi-chemin entre les peurs passées et les peurs présentes, chargé d’une xénophobie toute patriotique et d’une remarquable duplicité

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12 thoughts on “Salt, Phillip Noyce, 2010 : La figure de l’ennemi

  1. C’est tout à fait le genre de film qui est construit et diffusé afin de satisfaire l’opinion public américain, pour ainsi dire de manière péjorative, l’américain moyen. Pour que ce type de divertissement fasse un carton au box-office, il faut une belle gueule, en l’occurrence Angelina Jolie. On lui demande pas d’y être actrice, mais juste d’être physiquement là. Ainsi on conquière la ménagère qui s’identifie à cette belle créature d’Angelina Jolie (qu’elle a été ou souhaite être : forte, belle, inaltérable) et l’hétéro-masculin moyen : une belle femme équivaut à un bon film. Pour donner du piment, et garder son public, de l’action. Cela attendrit le cerveau, l’esprit critique : on sait les effets d’une succession de plans de scènes d’action et de flashs lumineux. Voilà qui fait passer un bon moment, qui donne l’impression que l’on est pas venu pour rien. Enfin, on éveil le sentiment patriotique si cher à ce pays : par une pseudo intrigue (les russes ne sont que des entremetteurs des vrais méchants-musulsmans), on renforce le sentiment nationaliste, ce qui évite de se poser la question du bien fonder des actions qui ont lieux dans le monde réel. Car là est le mal du divertissement : lorsque la fiction, le plaisir, se mêlent à la réalité.
    Voici une parfaite recette pour faire un bon chiffre d’affaire. Cependant, le sentiment patriotique dans les films est l’apanage de bien de pays en guerre (voir le cinéma japonais des années 1930).

    Deux petites questions alors : peut-on dire que les Etats-Unis sont en guerre, pour justifier ce sentiment patriotique (ou peut-être est-ce l’inverse)? Y-a-t-il un film, genre gros budget (car on parle plus facilement de ce genre de film que des autres), qui n’est pas évoqué les méchants-muslmans dans les cinq dernières années? Je parle de film genre Iron Man (big budget,big héros, big promotion, big box-office).

  2. Tu résumes bien la construction du film. Bon après tu es peut être un peu raide dans tes conclusions, mais je pense que tu touches à quelque chose de très vrai : les blockbusters sont faits, en ce moment, sur une recette simpliste et sur des thèmes récurrents. Mais je ne veux pas trop généraliser, il me semble que des films comme les Harry Potter évitent plus ou moins ce genre d’écueil. Ca pourrait aussi répondre à ta deuxième question qui est plus compliquée qu’il n’y parait car dans les films d’action hollywoodiens, souvent, il est question de guerre et donc fatalement il faut de l’avéré, donc les terroristes musulmans débarquent…. est ce que tu en connais toi ?

    En ce qui concerne ta question sur la perpetuelle guerre des états unis, je pense qu’on peut la prendre de deux bords minimum ; géopolitique et sociologique.
    Géopolitiquement les états unis sont en guerre depuis la 1ere guerre mondiale :techniquement, ils n’ont jamais arrêté. Donc oui ils sont en guerre.
    Sociologiquement, je ne suis pas sur que les spectacteurs américains décodent des films comme SALT comme étant des films militants ou militaires. J’irais même jusqu’à me demander jusqu’à quel point ce genre de propagande est voulue par les créateurs. Le concept de propagande sociale s’applique surement ici (Morin montrait comment un fait de société était répercuté par le cinéma qui à son tour influence la société qui influence le cinéma .. au bout d’un moment il n’est plus possible de distinguer qui influence qui. Il prenait comme exemple la manière de s’embrasser qui est très hollywodienne finalement).

    Eh bien, en matière de propagande, peut être que l’on appliquer le même schéma : une sorte de boucle de patriotisme qui fait que les américains sont de plus en plus patriotiques et que le cinéma le reflète de plus en plus ….

    Les américains sont en guerre mais leur cinéma ne s’en rendent plus compte.

    1. (j’adore ton côté pondéré … j’te promets, ça fait du bien de lire qqn avec des nuances, des mesures, sans généraliser comme un connard à tout bout d’champ … ça m’fait un bien fou !!!)

        1. en fait Anacréon c’est vachement bien trouvé …. j’me suis renseigné un peu sur ce poète Lyrique, que j’avais un peu étudié au Lycée (j’ai tapé son nom sur Wikipédia LOOOOOOOL xD) … et j’ai le souvenir que (et ils disent que) c’est le poète modéré par excellence … « je n’aime et je n’aime pas, je suis fou et je ne suis pas fou » LOOOOOOL … j’adore (même si je pense que t’es un ptit peu plus suptile que cette phrase xD) … de nos jours on appelerait ça plutot une phrase de Normands xD

  3. J’ai conscience que je suis un peu raide dans les conclusions : c’est pour mieux animer le débat! Si tu donnes trop d’argumentations, cela fini par convaincre par défaut le lecteur. Une conclusion ainsi rapide est sans détours amène à une réaction qui l’est tout autant! J’aime.
    Attention Ju, je parle de film américains! N’oublie pas ce que nous disions il y a de cela quelques années : ce qui ne se passe pas aux Etats-Unis n’est pas ressenti par les américains comme un film…américain. Qui plus est, Harry Potter est une franchise anglaise, et toutes proportions gardées, je pense que le film a eu plus d’entrée en salle en Angleterre qu’aux E.U..
    Pour ma seconde question, je trouve qu’il y a une transition que tu as évoqué, dans le rôle du méchant : on passe de l’ennemi « méchant-musulman » (un conflit religieux, et non de moralité), à l’ennemi intérieur, celui que l’on ne peut plus distinguer par une longue-barbe-noir-sur-une-peau-bien-foncée-avec-un-fort-accent. L’ennemi ressemble maintenant au premier voisin du coin qui ramasse avec vous le journal sur le perron le matin, ce qui entretient une psychose si chère aux système américain. Ce qui justement soulève cette idée : depuis la première guerre mondiale (voir avant, si on prend le fait qu’ils avaient l’impression d’être envahis par les anglo-saxons avant leur indépendance), ils n’ont eu de cesse d’être les gendarmes du monde. Ne faut-il pas dès lors parler d’un « état armée » en ce qui les concernes?
    Encore une fois, et j’adore, nous disons la même chose, mais avec les mêmes mots. Le maître mots des américains, et ce qui les identifient outre-atlantique, est leur mesure du patriotisme, ce qui se retrouve dans les films. Mais aujourd’hui, qui alimente qui en valeur patriotique? Les films satisfont des attentes qui sont induites chez les spectateurs…ou pas.
    Les américains sont en guerre et leurs cinémas ne s’en rendent plus compte. Que dire lorsque l’on apprend que les soldats s’entraînent sur des consoles de jeu, des iPads? Si la distance entre « fait réel » et « fait fiction » est aussi ténu pour ceux qui sont sur le terrain, qu’en est-il des spectateurs? Ainsi est confondu divertissement et réalité. On peut se réjouir que ce genre de film comme Salt face force de divertissement et dissipe la routine (pour le sentiment de certains, déconnecté le cerveau c’est sortir de la routine, ce qui peut cela-même devenir une routine), mais on peut regretter qu’il ne fasse pas poser plus de questions, dans le sens du recul dans ce que me montre ce film et pourquoi me le montre-t-il ainsi. Un peu comme on est en train de le faire…

    1. 1- Magnifique contre argument au sujet d’Harry Potter. Je propose alors les films de Christopher Nolan (fastoche je viens juste de publier un article sur Inception) : dans son film je n’ai pas trouvé trace de l’ennemi intérieur ou de l’ennemi extérieur.

      2- La figure de l’ennemi intérieur (le voisin de pallier) c’est une longue psychose américaine et je pense qu’il faudrait aller voir du coté du cinéma d’horreur pour s’en rendre parfaitement compte (c’est au programme, je n’ai juste pas le temps de le faire en ce moment).
      Cependant, je trouve, comme toi, qu’il y a une évolution de ce concept : j’ai la conviction que l’ennemi est de plus en plus réaliste : on abandonne la fiction pour aller vers quelque chose de beaucoup plus proche de la propagande. C’est un sentiment que je peux encore difficilement étayer. A suivre donc.

      3- C’est une belle question que tu abordes : la « fictionnalisation » de la violence et peut être même de notre rapport à la réalité. Je pense que l’on est sur le seuil de quelque chose de génial : notre génération Kid Paddle arrive tranquillement dans le noyau dur de la société. Notre génération (pour les lecteurs qui ne nous connaitraient pas personnellement nous sommes de la génération Y, nous avons 27ans tous les deux) a été élevée dans cette déconnexion au monde. Cependant, je ne n’arrive pas encore a statuer sur la gravité de la chose : je ne suis pas sur que ca soit si mauvais que cela. D’après ce que je lis en ce moment, les trentenaires actuels ont une ouverture d’esprit et surtout une flexibilité hors du commun. C’est peut être ce que nous attendons.

  4. Comment elle est fine,subtile et intelligente,la critique que tu fais du film Salt…….Moi,il me semble qu’après le visionnage d’un film avec Angélina,les seuls commentaires qui me viennent à l’esprit sont: »tu trouves pas qu’elle ressemble de plus en plus à un mérou? » Je me prends à penser que j’ai sans doute eu jusqu’à présent une approche un peu simpliste des films de ce genre que j’ai consommés comme on avale un mac do. C’est pas mauvais,mais pas franchement bon non plus,en tous cas,ça calme l

    1. Merci beaucoup ca me touche beaucoup.

      Ton analyse sous l’axe piscicole me parle pas mal aussi dans la mesure où, je trouve que son bec de lièvre devient de plus en plus proéminent … c’est surprenant !

  5. z’avez vu ? … ils vont la construire la mosquée sur le world trade center … bon, chui pas américain … mon pays n’a pas fait l’objet d’attaques terroristes qu’on attriburait à des gens qui partagent une religion différente de la religion dominante de mon pays … mais pour les cathos américains … y’auraient de quoi avoir la haine quand même … ils doivent voir ça comme une provoc (vu qu’les religions aiment bien montrer qu’elles sont supérieures aux autres religions xD) … et quand on se met à la place des musulmans américains, y’a de quoi voir ça comme un progrès dans l’acceptation de l’islam aux Etats Unis, pays profondément catholique … mais quand tu dis qu’le cinéma américain est « en guerre » … ouais, c’est ça … la puissance américaine catholique se sent menacée par l’imposition et la propagation grandissante de l’islam moderne … (même si, j’avoue qu’je fais volontairement le raccourci islam-terrorisme islamique …. juste, parce que les terroristes n’ont pas pris Bouddha comme prétexte, mais Allah)

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