Attention, cet article révèle des éléments de l’intrigue
Synopsis : Des espions industriels peuvent, par l’entremise de nouvelles technologies, s’immiscer dans les rêves d’individus pour y trouver des informations secrètes ou cachées. Ils développent tellement la méthode qu’ils sont capables de faire faire des rêves dans les rêves de leur victimes pour mieux les mélanger.
On leur demande de faire l’impossible : au lieu d’extraire des informations, ils devront implanter une idée dans la tête du grand magnat de l’énergie. Évidemment le plan ne se déroule pas comme prévu et il leur faudra se débattre dans une série de rêves de rêves.
C’est avec la joie primesautière et l’exubérance juvénile que vous me connaissez et qui a fait ma réputation outre atlantique, que je me suis rendu, avec des amis, dans une salle Imax, pour aller voir le film dont tout le monde nous rabat les pavillons auriculaires à longueur de chroniques cinématographiques : Inception.
Marion Cotillard, Leonardo DiCaprio, le réalisateur génial à succès Christopher Nolan (Dark Knight (2008), Insomnia (2002) et Memento (2000)) et un gros budget voilà qui augurait pour le mieux.
Autant vous le dire tout de suite je n’ai pas aimé. Mais pas aimé du tout. À la limite j’ai trouvé ça chiant ! Et pourtant je suis tout de même enthousiaste malgré des points rédhibitoires (je soigne ma bipolarité comme je peux !).
Un jeu convenu, une réalisation approximative, des scènes d’actions brouillonnes, des choix de raccords discutables (surtout en matière d’inserts), une caméra style parkinson épileptique (sur écran géant je vous raconte pas le mal de mer), une lumière sans saveur et une bande-son mixée au marteau piqueur de guerre ! Bref, ça saute, ça explose, ça trépide, ça raccorde dans le mouvement, et ça re-explose… mais par tous les saints du saint suaire achetez-leur un pied de caméra et un casque d’écoute ! Parce que mes petits amis, vous avez tout intérêt à aimer la musique de Hans Zimmer sinon dommage pour vos doux conduits auditifs : ça bastonne de la symphonie à tour d’explosion ! À croire qu’ils ont mixé le film dans un hélicoptère en marche…
Donc vous l’aurez compris, y’ a du budget en masse et il faut que ça se sache. Certains effets spéciaux sont donc vraiment saisissants : des rues complètes explosent au ralenti, des villes se tordent sur elles mêmes, etc. C’est beau, mais c’est d’une gratuité totale. Là où deux plans auraient suffi à nous faire comprendre que bon, la ville explose (c’est pas non plus un concept super compliqué), on nous donne à voir un ralenti très esthétique du cageot d’orange qui saute, puis de celui de pomme, juste à côté, qui vole en éclat, puis de celui de cerise qui éclate et une fois que le maraicher est en miette on passe au bistrot du coin et on attaque la vaisselle, puis les fenêtres, puis les tables… cinq minutes d’atomisation urbaine en bonne et due forme plus tard, on espère que ça va s’arrêter. Oui, oui, je le sens bien trop gros effet spécial, merci.
Dernier point négatif : la vraisemblance. Ça ne tient pas une seconde et demie comme histoire ! Je vous passe les raccourcis scénaristiques pour que les personnages puissent se rencontrer et les incohérences de l’histoire pour m’attarder sur un point qui m’a chicoté pendant tout le film : l’appareil sophistiqué qui permet aux voleurs de pénétrer l’esprit de leur victime. En gros, c’est une valise grise métallisée pour faire scientifique, munie de trois ou quatre boutons mous façon Avalon (Mamoru Oshii 2001) sur lesquels les personnages appuient de temps à autre quand ça va drôlement mal. Et, comble de la sophistication technologique, nos héros se raccordent par une sorte de fil dentaire qu’ils se plantent dans le bras ! Risible
Et pourtant, après cet éreintant tableau, il reste quelque chose de bon, quelque chose de génial même, quelque chose qui rend ce film intéressant : sa structure, sa narration et le temps induit.
1. Structure, narration, le statut du montage
L’histoire est complexe, puisqu’elle se passe sur plusieurs plans oniriques simultanément et le récit rend très bien compte de cette intrication sans devenir compliqué. On suit facilement les changements d’étages (les rêves dans les rêves) et la variété des décors permet de s’y retrouver rapidement.
Le sentiment d’incompréhension est lui aussi très bien géré. Le récit (pas l’histoire)[1] ne sombre jamais dans le simplisme ni dans l’incompréhensible. On oscille subtilement de l’un à l’autre et le réalisateur se permet même le tour de force d’en faire rire ses personnages. Il est rare, je trouve, de tomber sur une maitrise narrative aussi poussée, semble t’il que ça soit la marque de fabrique de Christopher Nolan.
La structure est très cohérente, aussi, les étages supérieurs influencent tranquillement les niveaux inférieurs et grâce à un va-et-vient constant on suit parfois trois strates d’action en même temps ; ce qui pose un problème cinématographique vraiment pertinent : petit cours de montage.
Le Montage parallèle est un procédé par lequel on juxtapose des plans qui proviennent d’espace-temps différents. Cela permet de suivre plusieurs actions dans une même séquence ou de créer des séquences distinctes dans un film. Les exemples pullulent, prenons les séquences d’entrainement dans Rocky IV (Stallone, 1984) : on voit Rocky courir dans la neige, tandis que son ennemi soviétique s’entraine dans une chambre high-tech sur un tapis roulant du futur. Deux temporalités, deux lieux.
Le Montage alterné c’est aussi un procédé par lequel on juxtapose des plans, mais ce coup-ci, qui proviennent d’un même temps et souvent d’un même espace.
Exemple : plan 1 je suis de dos à la fenêtre, plan 2 le tueur arrive près d’une maison dans la nuit, plan 3 je sors à livre toujours de dos et commence à lire la Critique de la Raison Pure (c’est une fiction je vous rappelle !), plan 4 le tueur sort son couteau, on reconnait ma silhouette (d’éphèbe grecque) dans l’encadrement de la fenêtre, plan 5 j’entends un bruit et me retourne, sortant avec dextérité un revolver caché sous un coussin aux fines broderies, plan 6 le tueur se cache sous la fenêtre, plan 7 je m’approche de la fenêtre les muscles tendus et le front barré de cette virile préoccupation qui transforme l’homme doux et agréable que je suis en une véritable machine de mort, plan 8 coupures publicitaires… normal.
Fin du petit cours de montage.
Lorsque les personnages naviguent dans plusieurs rêves en même temps, nous sommes dans le cas, relativement classique du montage en parallèle (temps et lieux différents). C’est d’ailleurs une très bonne gestion de ce type de montage qui permet la lisibilité narrative dont je faisais état plus haut.
Cependant au moment où tous les sous récits se résolvent simultanément il y a un changement d’axe dela flèche du temps : on passe de l’horizontale (narration classique) à la verticale (lien entre les récits ) : on passe subitement d’un montage parallèle à un montage alterné ! De mémoire, c’est la première fois que je tombe sur ce genre de passe-passe dans un film ! L’effet est vraiment incroyable et je pense qu’il contribue grandement au succès du film
Ce redressement de la flèche de temps est véritablement jouissif, car, de façon plus ou moins consciente, on sent que le temps du film est bouleversé pendant cette séquence et que l’on assiste à quelque chose de rare. Puis une fois ce nœud dramatique résolu, on retourne au montage classique.
Mais cette bascule entre les deux types de montage laisse une drôle de sensation et mets sur pied une dramaturgie très spécifique à ce film.
2. Le temps induit
Ajoutez le fait que le temps d’un niveau inférieur passe dix à vingt fois plus rapidement que celui de son niveau supérieur on obtient un film dont la deuxième partie (1 h 30) se passe en un clin d’œil. C’est là que nous touchons à un deuxième point particulièrement génial du film : l’induction d’une multitude de temporalités enchâssées les unes dans les autres.
Emmanuel Ethys dans sa Sociologie du Cinéma et de ses Publics(2005) mettait en avant une distinction entre le temps social (le temps de tous les jours dans la vraie vie quoi ! celui de votre montre) et le temps diégétique (le temps du film, par exemple Printemps, Été, Automne, Hivers et Printemps (Kim KI-duk, 2003) se passe sur 1an 1/4). Il est évident qu’il n’y a que très rarement d’accointance entre les deux (cas particulier de 24 h Chrono (Surnow et Cochran 2001-2010)), ce sont deux entités distinctes.
Ce qui est particulièrement plaisant ici, c’est que le temps diégétique du film va se fragmenter, à tel point qu’il va finir par prendre une tournure de temps social ! Puisque le rêve de niveau 1 se passe pendant le temps « réel » (j’entends de niveau réel), ces deux niveaux ont le même rapport que le temps diégétique avec votre temps social à vous ! Raisonnement que vous pouvez appliquer aussi au niveau 1 et au niveau 2 et ainsi de suite. Le temps de référence n’est donc pas absolu dans ce film.
De sorte que vous vous retrouvez dans la position de voir un film dans un film, avec ses lieux, ses personnages (ce qui est somme toute classique), mais surtout de voir des films qui ont des temporalités propres, et ce, sur plusieurs étages ! C’est un tour de force de structure et une rareté cinématographique.
Donc globalement je suis particulièrement déçu de l’esthétique du film qui est, à mon sens, rébarbative, plate et prévisible ; par contre, la maîtrise de la structure et les problématiques cinématographiques qu’elle soulève me plaisent profondément. Que voulez-vous, on ne peut pas tout avoir !
[1] L’histoire c’est l’ensemble des faits tels qu’ils se sont produits. Le récit, c’est la manière de les raconter. Il existe donc une grande variété de récit pour une seule et même histoire. On pourrait par exemple faire le récit de l’histoire du petit chaperon rouge par les yeux du grand méchant loup : l’histoire (les faits) serait la même, le récit serait totalement différent.
aaaaaaaaaaaaah … bein chui content qu’tu me donnes ton avis sur le film … parce que c’est vrai que j’voulais savoir s’il méritait tout ce ramdam !! …. J’étais suuuuuuuuuuur que les effets spéciaux étaient gratuits et complètement inutile … (on aurait dit des effets spéciaux prévu pour les films catastrophes genre 2012 ou le jour d’après … ça faisait un peu too much pour des rêves …. okay nos rêves sont barj des fois .. mais moi j’ai jamais rêvé en détail qu’une rue entière explosait … et que je voyais tous les moindre détails !!! xD)
bon mais finalement … tu conseilles d’aller le voir ou pas ? … parce que ça a l’air quand même un film « rare » et incroyablement bien ficellé si on suit c’que tu dis … (bon j’ai pas trop compris le « temps induit » j’me suis un peu paumé dans les étages, lequel est au temps social, lequel au temps diégetique, mais ça, c’est sûrement parce qu’il faut voir le film pour comprendre)
Le temps social c’est ton temps à toi, de spectateur. Ce sont donc les 2h30 que durent le film.
Le temps diététique c’est le temps dans le film ( les 28 jours de desintox dans 28 jours en sursis)
Le temps induit c’est le temps qui est créé dans le film (la sensation de temps et création de sous unités de temps)
Éclaire-je ta chandelle ?
euh ouais … ça j’avais compris … mais c’que j’ai pas suivi, c’est le « raisonnement » par rapport « aux niveaux » xD
Je reviens de voir ce film avec ma chère et tendre, et bien que nous l’ayons vu en VO sous-titrè chinois, nous avons passé un excellent moment! Sans compté que la sono à fond dans les basses nous a permis de bénéficier, et ceci gratuitement, de sièges vibrants pour le massage. Nous étions, ma foi, fort détendus.
Je vais m’attacher à contester ce que je trouve contestable dans tes constatations. Et avant cela, je voudrais revoir un terme du film. Selon moi, et cela n’engage donc que moi, il faut d’avantage parler de subconscient que de rêve; ce dernier est ce qui reste dans la tête de l’inspecté, et voilà ce qui explique et pourquoi pas défend la dématérialisation, les explosions : l’instabilité de la perception du corps étranger, et l’instabilité que lui-même crée.
Je commence par les scènes d’actions. Et bien je les ai trouvé plutôt bien construites. Je pense en premier lieu à celle se déroulant dans l’hôtel au subconscient du niveau 2, lorsque la voiture fait des tonneaux dans le niveau 1 alors que l’un des protagonistes se bat dans le niveau 2. UNe scène d’action, de combat, se déroulant sur un axe circulaire, n’est pas monnaie courante même dans les films cantonais des années ’70, ou bien encore les wuxiapian des mêmes années. Je ne suis jamais enthousiaste lorsqu’il s’agit de regarder une scène d’action à la nord-américaine : du boum, du blaf, du tactatactatc, et surtout une caméra que l’on va non pas mettre autour de l’action, mais bien dedans, où la prouesse du cadreur et de l’acteur et de ne pas eux-même entrer en contact! Je pense notamment à Roland Emmerich. J’ai consciencieusement oublié les autres.
La réalisation est convenue est cela à l’avantage le récit! Le but étant à mon sens d’arriver à poser le récit au spectateur et de l’y immiscer, il est d’autant plus nécessaire d’avoir une réalisation posé, pas trituré ou bien bancale (pour de bonnes raisons) comme c’est le cas pour Irréversible. Je pense que cela est un mal nécessaire, au bénéfice d’autre chose. Si il avait fallu insister sur la réalisation, il aurait nécessairement fallu donner une plus grande longueur au film, afin de donner d’avantages d’outils, aux spectateurs, à la compréhension et au décryptage du récit. N’oublions pas que ce film est « grand spectacle », même si cela se la joue Shakyaphéus (fusion entre Shakyamuni et Morpheus).
Après, je dois avouer que le jeu d’acteur me paraît un peu pauvre : après avoir vu Brothers et la performance de Tobey Maguire la veille, les acteurs me semblent un peu plates, tout DiCaprio-Cotillard qu’ils soient. Fort dommage. Quand aux lumières et à la musique, je suis déçus qu’il n’y ait pas eu plus de thèmes : même s’il y a certes des tons de couleurs différentes dans les différents niveau, cela se joue bien plus par le biais de l’architecture que par la lumière en elle-même. La musique n’est pas indifférente, très orchestrale et tonitruante, mais sans vraiment de réelle identité ou bien de thèmes. Pas le budget pour? Bien sûr on n’allait pas faire appel à un Philip Glass, où la musique aurait pu être son propre film, mais un Harry Gregson Williams, pourquoi pas. Pas transcendante, comme se veut un peu le film, mais pas condescendante non plus. Modeste je dirais.
Je conseil donc pour ma part ce film. Un bon moment, qui pour ma part sert de tremplin vers des idées nouvelles, ou bien vieillement-nouvelles.